J’ai perdu mon père à l’âge de 10 ans. C’est arrivé assez brutalement, au cours d’une crise cardiaque. J’étais fille unique et mes parents étaient déjà divorcés à cette époque. Ma mère a été incapable de me le dire, c’était trop douloureux pour elle de m’infliger ce chagrin. Elle m’a expliqué que mon père était à l’hôpital : «il lui est arrivé quelque chose de grave, il est entre la vie et la mort. » C’était sa manière à elle de me préparer. Tout le temps qu’a duré ce non-dit, (heureusement pas plus de quelques jours), j’ai nourri l’espoir inespéré qu’il puisse s’en sortir. Pour me relier à lui et lui transmettre toute la force dont il avait besoin, j’écoutais en boucle la chanson « L’Anamour » de Serge Gainsbourg que j’avais découverte à l’anniversaire de ses quarante ans qu’il avait fêté cinq jours auparavant. Et puis le 18 décembre 1994, parce qu’il fallait bien finir par me mettre au courant de ce qui c’était passé, mon oncle est arrivé à la maison et m’a dit : « ton papa est parti rejoindre ton grand-père ».
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« S’il était parti, il allait revenir… »
Ce terme « il est parti » a cristallisé une attente. Inconsciemment, j’ai toujours espéré qu’il revienne. Je rêvais que je le cherchais sans relâche. Je l’appelais au téléphone et ça sonnait dans le vide… Je recommençais des dizaines de fois jusqu’à ce qu’il me réponde, enfin, mais pour me dire qu’il avait mieux à faire. À travers ces songes, j’étais dans la quête éperdue de cet homme qui me rejetait. Mon inconscient avait engrammé très tôt le message que s’il ne revenait pas, c’était que je n’étais pas assez digne d’amour. De l’importance de ne pas édulcorer la réalité et de toujours utiliser les mots justes… :
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Sans enterrement pour mon père, j’ai la sensation que mon deuil m’a été volé
J’ai eu le droit d’aller à la cérémonie mais pas à son enterrement. Ma mère et d’autres adultes autour de moi, exceptée ma grand-mère, pensaient que ce n’était ma place, que cela me traumatiserait. Je n’étais donc pas au cimetière mais je n’ai pas cherché à y être non plus. Il ne m’est tout bonnement pas venu à l’esprit que je pouvais avoir un avis sur la question. C’était comme ça. Si les adultes pensaient que je ne devais pas être présente, c’était qu’ils devaient sans doute avoir raison. Après tout ce n’était pas moi l’adulte dans l’histoire…
Quand je me suis rendue sur sa tombe quelques jours après qu’il fut enterré, il était inscrit sur la stèle qu’il était mort le 16 décembre 1994. Comme on m’avait annoncé sa mort le 18, je n’ai pas compris et j’ai pensé à une erreur. Ma mère, peu à l’aise avec l’idée qu’elle ne m’avait pas dit la vérité de sa mort au moment où elle s’est produite, s’est enfoncée malgré elle encore plus dans le mensonge en me disant qu’ils s’étaient trompé de date dans la gravure.
J ‘ai appris plus tard qu’il était bien mort le 16 décembre 1994.
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Un père absent mais omniprésent
À la maison, on parlait beaucoup de mon père. Petite, il me filmait énormément. J’avais donc tout un tas de cassettes VHS que je regardais souvent et dans lesquelles son image apparaissait. Ma mère a tenté de transformer ce drame en une espèce de Walt Disney. Elle me disait « c’est incroyable, c’est merveilleux, il peut te voir partout où tu vas, il est là ! ». C’était pour moi une source de réconfort inouïe, et paradoxalement je n’étais pas très à l’aise de savoir que mon père pouvait me voir dans toutes les situations de ma vie sans y être invité ! Je vivais cette omniprésence un peu comme une intrusion dans mon espace intime, et en même temps cela me permettait de rester en lien avec lui.
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Aller aux funérailles de ma grand-mère a été réparateur
Ma grand-mère est morte 22 ans plus tard, le 31 Décembre 2016. C’était la mère de mon père, une personne que j’aimais énormément car elle était éminemment vivante. C’était important pour moi de la voir. Je n’avais jamais vu de mort auparavant. Je l’ai vu, je l’ai touchée, embrassée, j’ai mis sa chaîne autour de son cou contre l’avis de mon oncle qui voulait que je délègue ça aux pompes funèbres. J’ai organisé la messe avec le prêtre… Dans un climat familial et sociétal particulièrement thanatophobe, j’ai été très active lors de ses funérailles.
Son souhait était d’être enterrée auprès de son fils. J’ai évidemment harcelé les fossoyeurs pour qu’ils me préviennent au moment où ils ouvriraient le caveau. J’ai ainsi pu voir le cercueil de mon père à l’intérieur du caveau familial, 22 ans après.
Cet événement a eu pour moi une réelle portée psychomagique. Ma grand-mère, à travers sa mort, m’a en quelque sorte donnée la chance de me réapproprier une histoire dont on m’avait dépossédée, de la transmuter, de pouvoir en faire enfin quelque chose.
Circé Halatre est artiste sous le nom de Circé Deslandes, thérapeute, et s’est récemment formée au métier de conseillère funéraire. Elle souhaite accompagner les familles endeuillées et co-créer avec elles des rituels personnalisés pour dire au-revoir à leur défunt et le célébrer. Elle a dédié une vidéo à son père.
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