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Comment les jeunes aidants vivent-ils la fin de vie de leur proche mais aussi leur deuil ? Morgane Mesplède, psychologue chercheure à la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs et à l’association Jeunes Aidants Ensemble, a réalisé 15 entretiens semi-directifs avec des aidants âgés en moyenne de 23 ans et nous livre ses résultats.

Recherche sur le deuil des jeunes adultes aidants

Cette recherche s’attache aux trajectoires des jeunes adultes aidants confrontés à la fin de vie et au décès du proche qu’ils et elles aidaient… Qui sont ces jeunes ?

Morgane Mesplède : Les jeunes aidants ou jeunes adultes aidants sont des enfants, des adolescents ou des jeunes adultes qui apportent une aide significative et régulière à un proche malade ou en situation d’handicap. On estime qu’en France, plus de 500 000 jeunes de moins de 18 ans et 15,9% des étudiants seraient jeunes aidants. Dans notre étude, ces jeunes étaient majoritairement des femmes, âgées de 18 à 25 ans. Au moment des entretiens, plus de la moitié faisaient des études supérieures : il n’est pas anodin qu’une immense majorité avait une profession ou faisait des études dans le domaine de la santé ou du social. Dans les ¾ des cas, le proche aidé était un parent, et la pathologie la plus courante chez le proche était le cancer. 

 

Comment ces jeunes appréhendent-ils la fin de vie du proche aidé ? Vous évoquez leur sentiment de culpabilité, mais aussi les rituels auxquels donne lieu cette période…

Morgane Mesplède : La période de fin de vie est caractérisée par la détérioration de la santé du proche, ce qui suscite chez la plupart des jeunes adultes aidants interrogés une compréhension et une anticipation de l’issue à venir. Ces jeunes expriment des sentiments de culpabilité, liés au sentiment de ne pas avoir fait suffisamment pour leur proche, associés à un sentiment d’impuissance face à la dégradation de l’état de leur proche. Alors que la préparation au décès est principalement psychologique (mise en place de processus émotionnels et cognitifs visant la compréhension et l’acceptation de la situation), elle inclut également des actions telles que la célébration anticipée de certains évènements tant que le proche est encore présent (anniversaires etc.)

 

Sont-ils facilement identifiés et accompagnés ?

Morgane Mesplède : De nombreux jeunes aidants restent invisibles aux yeux de la société ou ne se reconnaissent pas en tant que tel, ce qui complique leur identification et leur accompagnement, le cas échéant. Ce terme demeure largement méconnu des professionnels de santé et de l’éducation, malgré le fait que de nombreux jeunes aidants aient probablement déjà été en contact avec eux dans leur environnement professionnel. De multiples obstacles entravent leur identification tels que le silence des familles, le manque de sensibilisation et de connaissances entre autres. De même, les recherches portant sur l’expérience des jeunes aidants ne bénéficient pas d’une place centrale dans l’étude des aidants familiaux en France. Aussi, il est essentiel d’explorer leurs vécus pour sensibiliser les professionnels susceptibles de les rencontrer à l’importance de leur repérage. Il est tout aussi crucial de poursuivre le développement de dispositifs d’accompagnement adaptés à leurs besoins spécifiques.

 

Que disent ces jeunes de leur vécu du deuil ?

Morgane Mesplède : Les entretiens révèlent des récits chargés d’émotion autour de cette expérience. Les jeunes font part de la nécessité de faire face à la fois à la perte de la personne qu’ils ont aidée et à la perte de leur rôle d’aidant. Cette double perte génère d’importants bouleversements et des ajustements significatifs dans leur quotidien.

Après le décès du proche, les jeunes aidants doivent réorganiser leur quotidien, une étape centrée davantage sur leur propre bien-être. Cela contraste avec la période d’aidance, au cours de laquelle leur vie était essentiellement centrée sur celle du proche malade. Cette transition peut se manifester par des changements importants tels qu’un déménagement, une réorientation académique ou professionnelle, la reprise d’activités sportives et de loisirs, et un renouvellement de leur vie sociale, tout en continuant leur parcours scolaire et en élaborant des projets d’avenir. La mise en place de ce nouveau quotidien, qui ne se fait pas sans difficultés, semble représenter une spécificité de l’expérience de deuil des jeunes aidants par rapport à celle des adultes aidants endeuillés.

 

De quel soutien bénéficient-ils ? Vont-ils le chercher et où le trouvent-ils ?

Morgane Mesplède : Certaines associations comme  » Jeunes AiDants Ensemble  » ont mis en place des dispositifs pour accueillir les jeunes aidants et leur offrir un soutien et des moments de répit, lors des vacances scolaires notamment. De même, depuis la rentrée scolaire 2023-2024, les étudiants aidants peuvent désormais bénéficier de certains aménagements dans leurs cours ainsi que d’une reconnaissance et valorisation de leurs compétences en tant qu’aidants dans certaines unités d’enseignements à l’Université. C’est par exemple le cas à l’université Paris Cité où ils peuvent valider l’UE « engagement étudiant » en étant aidants ce qui leur apporte entre 3 et 6 ECTS. Ils ont aussi un accès facilité aux bourses attribuées en fonction des critères sociaux avec l’obtention de points supplémentaires.

En raison du manque de reconnaissance sociale et médiatique de leur situation, de nombreux jeunes ne sont cependant toujours pas identifiés ou reconnus comme tels, notamment par les professionnels de santé, et n’ont pas accès à ces ressources. La plupart d’entre eux se tournent ainsi vers des membres de leur famille, leurs pairs ou des professionnels de la santé mentale pour obtenir le soutien dont ils ont besoin.

 

Le deuil d’un jeune s’accompagne souvent de difficultés matérielles ou financières. Vous ont-elles été remontées ? Et comment cela se traduit-il ?

Morgane Mesplède : Deux types de difficultés m’ont été rapportées. Tout d’abord, des difficultés relationnelles, notamment un manque de soutien ou un soutien perçu comme inadapté, ainsi qu’un sentiment de décalage par rapport aux autres jeunes de leur âge. Ces jeunes mettent également en avant la difficile réorganisation de leur quotidien, qui implique de rompre l’isolement, de faire face à des évènements douloureux tels que les fêtes de fin d’année ou les anniversaires (qui rappellent alors particulièrement la perte du proche) et de réinvestir le temps autrefois consacré à l’aidance. Les jeunes interrogés n’ont pas spécifiquement mentionné de problèmes financiers, car la plupart d’entre eux bénéficiaient toujours du soutien financier de leur famille ou avaient déjà intégré le monde professionnel. Leur situation peut néanmoins varier, et certains jeunes aidants peuvent en effet rencontrer des difficultés financières.

 

Une partie des jeunes interrogés a vécu son deuil au cours de la crise sanitaire : quelles implications cela a-t-il eu sur leur deuil ?

Morgane Mesplède : Avoir débuté le processus de deuil pendant la crise sanitaire, en particulier lors des périodes de confinement, a été perçu comme une difficulté majeure pour la plupart des jeunes adultes aidants impliqués. Cela est lié aux restrictions sociales de cette période, lesquelles ont entravé la réadaptation à une vie quotidienne normale, en empêchant la reprise d’une vie sociale et d’activités qui avaient été interrompues pendant la période d’aidance.

 

Quelles préconisations peut-on formuler à l’appui de ces résultats, pour les professionnels de santé, et de soins palliatifs notamment ?

Morgane Mesplède : Il apparaît important d’accroître la sensibilisation des professionnels de santé, en particulier ceux travaillant dans le domaine des soins palliatifs, car ils sont fréquemment confrontés à ces jeunes. Étant donné la diversité des expériences et des besoins, il serait judicieux que le professionnel de santé s’adresse directement au jeune, en reconnaissant sa position d’aidant, et lui demande directement ce dont il a besoin. Il pourra alors lui proposer un accompagnement adapté à ses besoins spécifiques, que ce soit en l’adressant à un psychologue, en lui laissant un rôle dans les soins prodigués à son proche malade, ou en prenant entièrement en charge la responsabilité de ces soins (via un renforcement de l’accompagnement des professionnels à domicile), en fonction des souhaits et des besoins du jeune.

 

Le 8 janvier 2024, la Plateforme nationale pour la recherche sur la fin de vie organise un Webinaire pour parler de l’expérience des jeunes aidants face à la fin de vie et au décès d’un proche. Si vous souhaitez y participer, voici le lien :  https://www.plateforme-recherche-findevie.fr/agenda/lexperience-des-jeunes-aidants-face-la-fin-de-vie-et-au-deces-dun-proche

Synthèses illustrées de la recherche : 

Des spécialistes peuvent vous aider à mieux traverser cette épreuve. Axelle Huber est coach, thérapeute, autrice et formatrice spécialisée dans le deuil des aidants. Elle accompagne les personnes en rupture de vie à retrouver leur élan et à se réaligner

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