Deuil d’un frère : la mort de mon frère a longtemps été passée sous silence


La mort, Laeticia Vigo-Habran, assistante sociale de formation et accompagnante du deuil l’a côtoyée très tôt suite au décès de son petit frère. Pour Happy End, elle a accepté de revenir sur ce drame familial qui a marqué tout le reste de sa vie.

Mon frère Stéphane est mort, pendant sa sieste, à l’âge de 11 mois. J’avais trois ans, nous étions venus passer un weekend chez mon oncle et ma tante. Je revois encore son berceau à droite dans cette grande pièce.

Les seules bribes qu’il me reste de ce jour-là me viennent comme des flashs. Je me souviens des hurlements de ma mère et du blanc de l’ambulance.

De ce terrible événement, mes parents ne m’ont rien dit. Pas un mot. Ils ne m’ont pas non plus amené à l’enterrement. Sûrement dans l’idée de me protéger. Ils pensaient qu’à trois ans, je ne me rendais pas compte de ce qui se passait et que j’oublierais tout. Ils n’ont jamais pensé que j’avais autant de souvenirs du jour du drame.

Ce qui s’est passé ce jour-là est marqué au fer rouge dans mon esprit, mais après, c’est le trou noir.

Ma mère m’a confié très récemment que peu de temps après le drame, toutes les affaires de mon frère avaient été enlevées. “Les anciens”, inconscients de la brutalité de ce geste, pensaient bien faire. C’était les années 70, une autre époque.

Ma mère s’est retrouvée avec une petite boîte pour seul souvenir de lui. À l’intérieur, ils avaient laissé des chaussures, un petit hochet et un petit gilet. C’est moi qui ai récupéré cette petite boîte, certainement comme un héritage familial ?

Devenir un enfant rêvé pour faciliter la vie de mes parents

Rapidement, j’ai compris qu’il ne fallait pas que je fasse de vague et que je me taise. Je suis devenue l’enfant que tous les parents rêvent d’avoir. Mes parents étaient en souffrance, l’enfant que j’étais a essayé de leur faciliter la vie. Après ça, et tout au long de ma vie, je n’ai jamais posé de problème à mes parents. Ce drame m’a rendue raisonnable très tôt…

La mort de mon frère a eu un impact considérable sur ma propre construction. Je ne serais pas celle que je suis aujourd’hui s’il n’était pas mort.


Accepter l’enfant d’après

Deux ans après la mort de Stéphane, ma petite sœur Élodie est venue au monde.

Dans ma tête de petite fille de cinq ans, je ne comprenais pas pourquoi ma sœur était là et pourquoi mon petit frère, lui, ne l’était plus. Mes parents n’avaient jamais verbalisé que mon frère était mort jusqu’à mes dix-huit ou dix-neuf ans. Je me demandais sans cesse quand est ce qu’il reviendrait car, pour moi, il finirait pas rentrer un jour ou l’autre.

De cette sœur, au départ, je n’en voulais pas. Élodie a dû grandir en se sentant rejetée. J’ai réussi à nouer des liens avec elle que beaucoup plus tard, quand j’ai compris de moi même que mon frère était mort pour de bon, et que je devais me résoudre à faire une place à cette sœur.

Pour mes parents, ma sœur n’a jamais eu le rôle de l’enfant pansement. Malgré tout, ils ont été, avec elle, beaucoup plus protecteur qu’avec moi, par peur de la perdre aussi.

Elodie s’est construite avec une ombre derrière elle sans le savoir. Jusqu’à ses treize ou quatorze ans, elle pensait être le deuxième enfant de la fratrie. Mes parents lui ont longtemps caché la vérité car ils ne pensaient pas nécessaire de lui en parler. Mais elle sentait bien que quelque chose n’allait pas. Elle a grandi avec beaucoup d’interrogations.

J’ai souhaité comprendre

Si mes parents se sont reconstruits seuls, j’ai fait un autre choix. À 30 ans, après la naissance de mes filles, j’ai consulté une psychologue. Comprendre les choses était une nécessité pour que je puisse avancer. Je ressentais le besoin de verbaliser ce que j’avais vécu.

Le 13 septembre, c’est le jour de l’anniversaire de mon frère. Tous les ans à cette date, ma mère restait au fond du lit toute la journée et je ne comprenais pas pourquoi ma mère allait si mal. J’ai compris bien plus tard… Ce jour-là, je pense aussi à lui. Je me demande quel frère il aurait été ? Comment les choses se seraient passées ? Quel oncle il aurait été pour mes filles ? Malgré la perte de mon frère, ma sœur et moi avons eu une enfance heureuse et avons grandi dans l’amour et dans la bienveillance. Mes parents ont fait preuve d’une grande résilience pour pouvoir avancer, car ce drame aurait pu mettre ma famille en péril ou séparer mes parents. Ils ont fait au mieux avec la peine qu’ils avaient.

C’est aussi difficile pour un parent de perdre un enfant, que pour une sœur de perdre un frère

Ma peine et celle de mes parents n’a pas été prise en considération par notre entourage. C’était une autre époque, où il n’y avait aucune ressource pour aider les personnes en deuil, où il fallait taire ses sentiments et passer à autre chose. Pour beaucoup, perdre un enfant est plus difficile que de perdre un frère ou une sœur mais nous avons tous souffert. Pourquoi hiérarchiser le deuil ? Ce qui est important, c’est le lien qui est brisé.

Je masquais en permanence ma tristesse mais la petite fille que j’étais ressentais une peine immense. Cette petite boîte dans laquelle se trouvaient les affaires de mon frère, j’allais la voir tous les jours, je savais où elle était cachée. Cela a duré des années.

Dans ma famille, la mort de mon frère n’est pas un sujet tabou, mais pour autant, nous ne rentrons jamais dans les émotions et les ressentis dans laquelle elle nous a plongés. Nous ne parlons jamais du mal que sa disparition nous a causé. En revanche, il a toujours été dit que si l’un de mes deux parents mourrait, leurs cendres devaient rejoindre les restes de mon frère.

Le sentiment d’isolement des personnes en deuil, nous n’y pensons pas ou peu, et chacun essaye de faire à sa façon, avec ce que la société créée comme tabou. C’est une des raisons qui m’a poussé à devenir accompagnante du deuil. Une façon de briser la solitude des personnes endeuillées et de les inviter à exprimer leur ressenti, au moment où ils en ont le plus besoin.”

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