5 textes à lire à l’enterrement d’un·e conjoint·e


La perte d’un.e conjoint.e est un bouleversement d’une violence inouïe. Suite au décès, l’organisation des obsèques vient rapidement. Inhumation ou crémation, choix du cercueil ou de l’urne… Le.la conjoint.e survivant.e doit prendre des décisions difficiles et n’a pas toujours le temps de rédiger un texte d’adieu, lu pendant la cérémonie. Voici quelques exemples de textes à lire à l’enterrement d’un.e conjoint.e.

Quand je serais morte

Quand je serai morte, mon aimé,
Ne chante pas de tristes chants.
Ne plante pas de roses sur ma tête,
Ni de cyprès trop lourd.
Fais en sorte que l’herbe y pousse,
Tapis de pluie ou de rosée.
Et si tu le veux, pense à moi
Et si tu le veux, oublie-moi.

Christiana Rossetti

La fragilité de la vie

Accepter la mort – la sienne, celle de ses proches-, c’est la seule façon d’être fidèle jusqu’au bout à la vie. Mortels et amants de mortels: c’est ce que nous sommes, et qui nous déchire. Mais cette déchirure qui nous fait hommes, ou femmes, est aussi ce qui donne à la vie son plus haut prix. Si nous ne mourions pas, si notre existence ne se détachait ainsi sur le fond très obscur de la mort, la vie serait-elle à ce point précieuse, rare, bouleversante? […]
Il faut donc penser la mort pour aimer mieux la vie – en tout cas pour l’aimer comme elle est : fragile et passagère -, pour l’apprécier mieux, pour la vivre mieux.

André Comte-Sponville

Je vis à vide

J’ouvre les yeux, j’allume la lampe, je me révolte contre moi-même. La journée commence, je ne la vois inscrire aucune trajectoire heureuse. Toi seul me voyais, moi seule te voyais. Aujourd’hui je demeure dans un monde sans regard. Je vis à vide. Je savais que cela serait ainsi. Pendant chacun de ces jours qui pouvait être le dernier, je te regardais, je voulais voir l’amour et je trouvais la mort. Je pensais : « Regarde-moi, toi aussi, car moi j’aurai au moins le souvenir, mais toi, rien. Tout va disparaître, jusqu’à ta conscience même du souvenir. Le néant. Tu vas retourner au néant. » Je me soûlais de ta vue, je me noyais dans tes gestes et dans tes regards. Je te souriais pour voir naître ton sourire, je te baisais la main pour te regarder baiser la mienne. Et je me disais que jamais, jamais, je n’oublierais cela. J’aurais voulu que chaque empreinte reste inscrite sur mon corps, que chaque caresse empêche la pourriture de s’emparer du tien. Je luttais contre l’impossible. J’étais vaincue parce que tu étais vaincu, mais tu ignorais ta défaite.

Je voudrais marcher, ne jamais m’arrêter. Ainsi seulement la vie me paraît possible. J’aimais notre pas accordé, c’était la plus belle réalité du monde. Où vais-je aujourd’hui, car marcher, ce n’est pas seulement mettre un pied devant l’autre. Où est mon but? J’obéis aux ordres d’urgence : vivre, et faire vivre. C’est presque facile et c’est ainsi seulement en ramenant les choses à leur base que je puis accomplir ce qui est à faire.

Je suis bien dans le silence de l’hiver, sur la terre nue et sans odeur. Je m’efforce au même sommeil.

Anne Philippe


Tu t’en vas

Tu n’as pas attendu que soient tournées les pages que nous voulions écrire ensemble,
tu t’en vas, et tu n’as pas attendu le temps de la moisson, le temps de récolter ce qu’ensemble nous avions semé,
tu t’en vas et tu n’as pas attendu que la maison soit finie, les enfants élevés,
tu t’en vas et tu n’as pas attendu que nous prenions le temps de nous réconcilier avec ceux qui nous ont fait du mal, avec ceux que nous avons blessés.

Anonyme

Que serais-je sans toi ?

Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre.
Que serais-je sans toi qu’un cœur au bois dormant.
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre.
Que serais-je sans toi que ce balbutiement.

J’ai tout appris de toi sur les choses humaines.
Et j’ai vu désormais le monde à ta façon.
J’ai tout appris de toi comme on boit aux fontaines
Comme on lit dans le ciel les étoiles lointaines.
Comme au passant qui chante, on reprend sa chanson.
J’ai tout appris de toi jusqu’au sens de frisson.

J’ai tout appris de toi pour ce qui me concerne.
Qu’il fait jour à midi, qu’un ciel peut être bleu
Que le bonheur n’est pas un quinquet de taverne.
Tu m’as pris par la main, dans cet enfer moderne
Où l’homme ne sait plus ce que c’est qu’être deux.
Tu m’as pris par la main comme un amant heureux.

Qui parle de bonheur a souvent les yeux tristes.
N’est-ce pas un sanglot que la déconvenue
Une corde brisée aux doigts du guitariste
Et pourtant je vous dis que le bonheur existe.
Ailleurs que dans le rêve, ailleurs que dans les nues.
Terre, terre, voici ses rades inconnues.

Louis Aragon (extrait) 

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