Bientôt une pilule pour “soigner” le deuil ?


Selon le récent article du New York Times, « How long should it take to grief ? Psychiatry has come up with an answer » (Combien de temps doit durer un deuil ? La psychiatrie a trouvé la réponse), des essais cliniques seraient actuellement en cours afin d’apporter une réponse médicale à la nouvelle pathologie du deuil prolongé inscrite dans le DSM-5. Cette étude est portée par Holly Prigerson, professeur eperte du deuil au Weill Cornell Medical Collège et Paul Maciejewski, maître de conférences en psychiatrie à l’Université d’Harvard. Elle devrait permettre d’établir l’efficacité de la naltrexone comme traitement dans le cadre du deuil prolongé. On vous explique.

Le deuil prolongé, un trouble de l’addiction ?

Sur la base d’un questionnaire de treize questions, Holly Prigerson et Paul Maciejewski entendent diagnostiquer le deuil prolongé. “Au cours du mois précédent, combien de fois avez-vous désiré ou aspiré à revoir le défunt ? Au cours du mois précédent, combien de fois avez-vous tenté d’oublier la personne que vous avez perdu ?”… Voici le genre de questions soulevées par le questionnaire.

Selon les scientifiques, ce trouble du deuil prolongé serait comparable au trouble de l’addiction dont “le principal symptôme […] est le désir ardent : désir persistant, envie ou préoccupation permanente pour le défunt.” Ainsi, c’est donc cette “dépendance” au proche décédé qu’il faut “régler” afin de “soigner” le deuil prolongé. Pour cela, les deux scientifiques et plusieurs autres de leurs collègues pro-pathologisation du deuil, préconisent l’utilisation de la naltrexone. Ce médicament est actuellement utilisé pour traiter les dépendances à l’alcool et aux opioïdes.

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48 participants et 50 mg de naltrexone

Ces essais cliniques se dérouleront sur 48 individus en état de deuil prolongé. De façon aléatoire, 50 mg de naltrexone ou un placebo à l’apparence identique leur sera administré durant huit semaines. Par la suite, une visite toutes les quatre semaines permettra d’évaluer l’éventuel changement de symptômes, la proximité sociale et les effets secondaires. Le but ultime serait donc d’observer une amélioration des “symptômes” du deuil suite à la prise du médicament.

À noter : ce médicaments est connu pour ses effets secondaires (anxiété, difficultés d’endormissement, maux de tête, agitation, nervosité, douleurs abdominales, nausées, vomissements, douleurs musculaires et articulaires…). À la suite de ces huit semaines, les participants seront suivis durant quatre semaines.

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Les industries pharmaceutiques à l’origine de ces nouvelles pathologies ?

À ce jour, les États-Unis et la Nouvelle-Zélande sont les seuls pays au monde à autoriser la publicité directe aux consommateurs pour l’industrie pharmaceutique. Selon Nielsen, société spécialisée en marketing, 80 publicités pour des médicaments sans ordonnance seraient diffusées en moyenne chaque heure à la télévision américaine.

Cette communication agressive des géants pharmaceutiques serait-elle en lien direct avec l’ajout de troubles mentaux au DSM ? Et la sur-commercialisation de médicaments destinés à les traiter ?

Un conflit d’intérêt déjà décelé en 2014…

En 2014, le processus de révision du DSM-5 avait ouvert deux débats. Le premier sur l’ajout fréquent de nouvelles pathologies puis sur leur enjeu financier pour l’industrie pharmaceutique. Une étude, Conflits d’intérêts tripartites et extensions de brevets à enjeux élevés dans le DSM-5,  avait donc été réalisée pour établir un éventuel conflit d’intérêt.

Les résultats étaient sans équivoque : 69 % des membres du groupe de travail du DSM-5 ont déclaré avoir des liens financiers avec l’industrie pharmaceutique. Certains psychiatres, comme Patrick Landman, président de l’association STOP DSM-5, affirment que celui-ci favorise la création de nouveaux troubles mentaux. De plus, eux-même favorisent l’élaboration et la commercialisation de médicaments et traitement.

…et toujours en cause dans l’ajout du deuil prolongé ?

D’ailleurs, le deuil prolongé devait être considéré comme un trouble mental pour autoriser les essais cliniques sur la naltrexone. Ainsi, une question demeure. Le profit des industries pharmaceutiques doit-il passer avant la prise en charge d’une grande étape de la condition humaine ? La réponse est bien évidemment claire pour nous… Moins pour ces scientifiques.

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