Deuil et handicap : des groupes de parole pour soutenir les personnes déficientes intellectuelles


En cinquante ans, l’espérance de vie moyenne des personnes déficientes intellectuelles a nettement augmenté. Une longévité qui les amène de plus en plus à être confrontées aux décès d’êtres chers, le plus souvent celui de leurs parents auxquels ils sont désormais nombreux à survivre. Pourtant, ces personnes se retrouvent la plupart du temps seules face à leur peine, car rares sont les accompagnements proposés.

Depuis 2021, Michèle Wattelier, bénévole à l’association Vivre son deuil Nord-Pas-de-Calais organise des groupes de parole pour adultes atteints de déficience intellectuelle dans deux ESAT (Établissement et service d’aide par le travail) de la région. En tant qu’ancienne éducatrice spécialisée auprès d’enfants et adolescents déficients intellectuels, elle nous éclaire sur le vécu du deuil des personnes en situation de handicap mental.

Deuil et handicap : le constat d’un double tabou

Pour Michèle, la prise en charge des personnes déficientes intellectuelles vient se heurter à un double tabou : d’abord, celui du deuil, mais également celui du handicap mental. “La société invisibilise encore beaucoup les émotions des personnes atteintes de déficience intellectuelle. Pourtant, ils ont besoin de parler de ce qu’ils traversent. Souvent, s’ils sentent que la porte est ouverte, ils s’y engouffrent. Bien sûr, je dois adapter mon approche, mais ce n’est pas difficile d’aborder le sujet de la mort avec eux. ”, confie Michèle.

Les personnes qui travaillent dans le secteur du handicap ne sont pas épargnées par ce double tabou et souvent, ils n’ont reçu aucune formation pour accompagner les personnes dont ils s’occupent confrontés au deuil. Lorsque les éducateurs ou infirmiers qui travaillent dans les établissements spécialisés font appel à Michèle, c’est toujours dans l’urgence, en réponse à un changement de comportement brutal d’une personne handicapée. Ils se retrouvent bien souvent démunis face à leur chagrin qui s’exprime parfois de manière très envahissante. Ils ont besoin de clés pour réagir.


Les groupes de parole : une main tendue nécessaire pour traverser le deuil

Une fois par mois, Michèle, anime ces groupes de parole rassemblant 5 à 6 personnes. 

Lorsque que je rencontre un groupe pour la première fois, je leur explique qu’ils devront aller jusqu’au bout de l’accompagnement, qu’effectivement, ce sera parfois douloureux, mais que tous ensemble nous allons nous aider à aller mieux.”, raconte Michèle.

À l’image de n’importe quel groupe de parole, l’objectif est de raconter sa perte et de se reconnecter à elle. Dans la majorité des cas, il s’agit de leurs parents, de leurs frères et sœurs, mais aussi parfois de leur conjoint.J’ai toujours en tête plusieurs formules pour parler de la mort et du deuil, cela me permet d’être comprise de tous. J’utilise également des images d’enterrement ou de crémation, afin que l’on puisse échanger sur ces moments pas toujours simples à saisir pour eux.”, explique la bénévole.

Ces rencontres mensuelles leur permettent également d’exprimer toutes les émotions qui n’ont pas pu être accueillies et comprises jusque-là par leur entourage, comme la culpabilité, la honte et la colère.

Je suis en colère parce que je n’existe pas

Les personnes porteuses d’un handicap mental sont encore trop fréquemment tenues à l’écart lors des rites funéraires et le sujet de la mort est rarement abordé avec eux par peur qu’il ne puisse pas comprendre ou qu’ils ne soient trop tristes. Des préjugés qui ne correspondent en aucun cas à la réalité de ces personnes face au deuil.

J’ai rencontré une dame à qui on refusait de dire à quel endroit était enterré son père. Au cours d’une de nos rencontres, elle avait confié son mal-être face à cette situation : “Je suis en colère parce que je n’existe pas”. En participant au groupe de parole, elle a pu gagner en assurance et expliquer ses besoins à ses proches qui lui ont finalement révélé l’endroit où reposait son papa.”, ajoute Michèle.

Rester comme ça, ce n’était pas la bonne solution

Quand je suis arrivé au groupe, j’étais tout noué.”, “Je ne suis plus tout seul, les séances m’ont aidé.”, “Rester comme ça, ce n’était pas la bonne solution.”… Voici le type de commentaires que reçoit Michèle des participants à ces temps d’échange. 

Sa rencontre avec Philippe, un homme qui venait de perdre sa mère, l’a beaucoup touchée. “Lors de notre première rencontre, il a beaucoup pleuré. Il m’a ensuite fait savoir qu’il ne souhaitait plus revenir. J’ai tenté de le rassurer en lui expliquant qu’il avait fait le plus difficile. Philippe est finalement allé jusqu’au bout et j’ai pu constater une grande évolution de son non-verbal. Il était beaucoup plus ouvert.”, raconte l’ancienne éducatrice.

Afin de matérialiser la perte, chaque membre du groupe dispose d’un petit carnet où il peut écrire des petits mots, dessiner et coller des photos, ce qui leur permet de pouvoir en reparler plus tard.

Michèle anime chacun des groupes avec un accompagnant de la structure qui deviendra ensuite la personne-ressource vers laquelle les personnes en deuil pourront trouver du soutien. Michèle a un objectif : transmettre son savoir au plus grand nombre. Elle organise, à ce titre, chaque année, une journée de formation à destination des professionnels du handicap. La prochaine rencontre au sujet du deuil et du handicap aura lieu le 21 novembre 2024 à Loos dans le Nord-Pas-de-Calais. Une autre est organisée dans le sud à Montpellier le 22 novembre. Avis aux intéressés.

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